BCE : halte à la collusion avec la finance

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La Médiatrice de l’Union européenne vient de demander au président de la Banque Centrale Européenne Mario Draghi de quitter le G30. Ce « G30 » est un club privé rassemblant des hauts dirigeants du monde de la finance (du secteur public ou privé) et quelques économistes universitaires. Le Médiateur européen est un organisme indépendant qui enquête sur les cas de mauvaise administration dans les institutions de l’UE. Il avait reçu une plainte au début de l’année 2017 de la part d’une ONG, l’Observatoire européen des lobbys, qui relevait que le G30 présente toutes les caractéristiques d’un lobby des grandes banques internationales privées. Le G30 oeuvre par exemple à promouvoir les réglementations (ou les déréglementation…) souhaitées par les grands acteurs des marchés financiers. A ce titre, l’adhésion et la participation du Président de la Banque centrale européenne à ce club représente un conflit d’intérêt patent.

Le Médiateur européen a souligné, au terme de son enquête, l’opacité qui entoure le G30. Les réunions du club sont non publiques, ce qui offre la possibilité de transmettre des informations hors de tout contrôle, et ses membres (31 hommes sur 33 membres) sont cooptés par un bureau d’administrateurs anonymes. Mario Draghi est devenu membre du G30 lorsqu’il travaillait à Goldman Sachs entre 2002 et 2005. Il était alors “associé” en charge des “entreprises et pays souverains” dans la banque américaine qui a aidé à maquiller les comptes de la Grèce pour permettre son adhésion à l’eurozone. Draghi est resté membre du G30 lorsqu’il a pris la présidence de la BCE, tout comme les présidents qui l’ont précédé. Cependant, tout indique que la BCE a accru sa participation dans le lobby bancaire ces dernières années : plusieurs membres de ses organes dirigeants sont apparus dans les évènements du G30 et dans ses groupes de travail. Cette situation est d’autant plus problématique que, depuis novembre 2014, la Banque Centrale Européenne supervise l’activité des grandes banques européennes, dans le cadre de l’Union bancaire. Le G30 associe ainsi, autour de cocktails et de petits fours, les hauts responsables qui contrôlent les banques et participent à leur régulation, et certaines des institutions financières qu’ils supervisent, ecrit https://lafranceinsoumise.fr.

Le Médiateur européen ne s’y est pas trompé : cette situation représente un cas d’espèce en matière de capture du superviseur bancaire. Malheureusement, la décision de l’organisme est non contraignante. Dans le cadre actuel des institutions européennes, la BCE est laissée libre de maintenir ou non son adhésion à ce club ; elle doit simplement fournir sous trois mois (avant le 15 avril 2018) des explications détaillées à l’appui de son choix.

La capture des banques centrales par la finance a déjà été dénoncée à maintes reprises. Elle l’a été, notamment, à l’occasion de la nomination de Villeroy de Galhau à la tête de la Banque de France en septembre 2015. Cette nomination l’a conduit également à présider l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’institution qui contrôle les banques françaises depuis la crise financière et qui est adossée à la banque centrale. Or, Villeroy de Galhau, ancien Inspecteur des finances, est passé dans le privé en 2003 et il a été, entre 2011 et 2015, le directeur général délégué du groupe BNP Paribas. Pour mener la politique monétaire de la France et contrôler les banques, François Hollande a donc choisi un banquier… Le conflit d’intérêt est flagrant et il a été dénoncé par 150 économistes dans une tribune. Il est inconcevable de défendre les intérêts de la finance pendant 12 ans et, ensuite, de pouvoir prétendre incarner l’intérêt général à la tête d’une institution publique. Récemment, c’est l’ancienne eurodéputée Sylvie Goulard qui vient d’être nommée sous-gouverneure de la Banque de France. Cette promotion, unanimement qualifiée de stupéfiante, tient sans doute au soutien que Sylvie Goulard a apporté à Villeroy de Galhau en 2015, ou alors à sa proximité avec le lobby bancaire lorsqu’elle était au Parlement européen.

L’indépendance de la banque centrale est finalement à géométrie variable ! Indépendante de la volonté démocratique, elle ne l’est pas des marchés financiers. Les traités européens empêchent le pouvoir politique d’avoir toute prise sur la BCE et les banques centrales des États membres. L’article 123 du TFUE (Traité de Lisbonne) stipule ainsi que, contrairement aux missions historiques des banques centrales, la BCE ne peut pas financer directement les Etats. Selon l’article 130 du TFUE, la BCE ne peut solliciter ni recevoir aucune instructions des États et des gouvernements. Or, en 2015, le Financial Times a relevé que les membres du Directoire de la BCE (son comité exécutif) rencontraient régulièrement d’importants acteurs du marché juste avant les réunions de politique monétaire. Cette pratique est interdite par d’autres banques centrales comme la Banque d’Angleterre, qui impose un délais de trois jours. Pour la BCE, une période de silence d’une semaine s’impose vis-à-vis de la presse et de l’opinion, mais apparemment pas vis-à-vis des banquiers.

L’indépendance de la BCE s’est également avérée plus que douteuse en 2015, lors du chantage exercé la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) contre le Gouvernement d’Alexis Tsipras. Le 4 février 2015, la BCE a mis fin à l’octroi normal de liquidités aux banques grecques afin de soumettre le gouvernement à un chantage permanent et d’augmenter le coût du financement des banques grecques tout en limitant les ressources du gouvernement. Elle a fait fermer les banques grecques six jours avant le référendum du 5 juillet 2015. Durant l’été, la BCE a enfin menacé de couper les liquidités d’urgence aux banques grecques et de contraindre la Grèce à sortir de l’Union monétaire si celle-ci ne se pliait pas au carcan austéritaire du mémorandum. Ce faisant, la BCE s’est pleinement inscrite dans la stratégie de Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, et des créanciers de la Grèce.

Alors que les pouvoirs de la BCE sont devenus considérables, un véritable débat public doit avoir lieu avant la nomination de son nouveau président en 2019. Le prochain président de la BCE influera largement sur la teneur de la politique monétaire pour les 8 ans à venir, sur les futures régulations bancaires et sur les nouvelles étapes dans la réformes de la zone euro. Il pourra donner une orientation rigoriste à la politique monétaire ou, au contraire, l’orienter vers le bien commun. Des milliards d’euros ont été injectés depuis 2015 par la banque centrale pour relancer l’économie mais ils ont filé droit dans la sphère financière et la spéculation. Il est grand temps de réorienter cette création monétaire vers des investissements utiles, comme des écoles, des hôpitaux, ou des infrastructures nécessaires à la transition écologique en Europe. La nomination du prochain président de la BCE n’a rien de technique et est tout entière politique ! Il n’est pas normal que le candidat pressenti soit simplement, au terme du processus, auditionné par le Parlement européen qui n’aura qu’une opinion consultative. L’ensemble des citoyennes et citoyens doivent pouvoir débattre de cette nomination qui affectera toute la population.

La prétendue indépendance de la BCE vise à présenter la politique monétaire et la régulation financière aux peuples comme une matière technique qui devrait être gérée par des experts. Or, la gestion d’une monnaie et le contrôle des banques relèvent de choix éminemment politiques. Le choix est simple : livrer les banques aux choix démocratiques populaires, ou les offrir en pâture aux acteurs les plus puissants du monde de la finance.

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