Directeurs d’école : ce que craignent les profs, ce que défend Blanquer, ce que dit la loi

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Dans la rue, parents et enseignants défilent contre les réformes Blanquer. La création « d’établissements publics des savoirs fondamentaux », regroupant école(s) et collège, cristallise les inquiétudes. Le JDD fait le point sur trois phrases entendues dans les manifestations.

Le personnel éducatif sera de nouveau dans la rue jeudi et les syndicats appellent à la grève. Ils demandent qu’une partie de l’article 6 du projet de loi sur l’école de la confiance, votée à l’Assemblée et examinée en mai au Sénat, soit supprimée. Via un amendement déposé par une députée LREM en séance et soutenu par le gouvernement, il rend possible des rapprochements de collège et d’une ou plusieurs écoles du même secteur, via des « établissements publics des savoirs fondamentaux » (EPSF). Ce texte cristallise les inquiétudes des enseignants qui multiplient les grèves.

Le JDD tente de faire la lumière sur les craintes du personnel éducatif, les propos du ministre Jean-Michel Blanquer et ce qui est inscrit, pour l’heure, dans le projet de loi, toujours en discussion au Parlement.

1 – « Ils veulent supprimer les directeurs d’écoles »
Ce que craignent les syndicats

Sur ce point précis, il y a deux niveaux de lecture. Dans les écoles, les actuels directeurs craignent qu’en étant mis sous la tutelle du proviseur, qui deviendra le chef d’établissement des futurs EPSF, leurs tâches ne soient plus les mêmes. Actuellement, elles sont détaillées dans une circulaire de 2014 : animation, impulsion et pilotage autour de trois axes (responsabilités pédagogiques, relatives au fonctionnement de l’école et aux relations avec les parents et partenaires). Statutairement, et contrairement aux proviseurs, le directeur d’école est un enseignant qui a été nommé à ce poste – avec une décharge partielle ou totale – et n’est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues.

L’autre crainte est une généralisation des « établissements publics des savoirs fondamentaux ». La France compte 45.000 écoles (dont 50% de moins de quatre classes) et 5.300 collèges. Le ratio est d’environ 9 écoles pour un collège et les syndicats craignent qu’à terme il y ait des suppressions de postes.

Ce que dit Blanquer

« Une intoxication incroyable » ; « un festival de bobards »… Le ministre tente de déminer et assure qu’il n’y aura pas de suppression de postes. Il l’a répété à plusieurs reprises ces derniers jours :

« Il ne s’agit pas d’en finir avec les directeurs des écoles. […] Toutes les écoles conserveront leur directeur » (Facebook, le 19 mars)
« On dit que c’est fait pour supprimer les directeurs d’école ou les affaiblir : c’est un bobard! » (QAG, le 26 mars)
Cela « ne remet pas en cause l’existence des écoles et de leurs directeurs ». (Le Parisien, le 27 mars)
« En aucun cas, (cela) n’a vocation à faire disparaître des écoles et encore moins leurs directeurs. » (lettre aux professeurs, le 29 mars)
Autre affirmation du gouvernement : il n’y aura pas d’obligation, ni de généralisation du dispositif. Cécile Rilhac, la députée LREM à l’origine de l’amendement et qui avait fait une mission flash sur le sujet en 2018, a évoqué sept à huit sites à l’horizon 2022, lors d’une rencontre avec le Sgen-CFDT.

Ce que dit le texte

Le texte qui sera discuté au Sénat en mai explique, dans son article 6, que « les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux sont dirigés par un chef d’établissement qui exerce simultanément les compétences attribuées au directeur d’école par l’article L. 411-1 et les compétences attribuées au chef d’établissement par l’article L. 421-3 ».

Il précise également que « un ou plusieurs chefs d’établissement adjoints, dont un au moins est chargé des classes du premier degré, exercent aux côtés du chef d’établissement. Ce chef d’établissement adjoint, chargé du premier degré, est issu du premier degré. Les modalités de son recrutement sont fixées par décret ». Les directeurs d’école deviendront-ils de manière automatique les adjoints du chef d’établissement? Et avec quelles prérogatives?

2 – « On va perdre le contact avec les familles »
Ce que craignent les syndicats

C’est l’une des craintes affichées par un professeur croisé par le JDD lors de la manifestation parisienne de samedi dernier. La circulaire de 2014 indique que le directeur d’école « facilite la participation des parents à l’action éducatrice de l’école en leur diffusant l’information nécessaire ; favorise leur implication dans l’élaboration du projet d’école initié par l’équipe pédagogique ; et veille à ce qu’une réponse soit donnée à leurs demandes d’information et d’entrevues ».

Au cœur d’un établissement plus grand et avec un supérieur hiérarchique, les directeurs d’école craignent de ne plus jouer ce rôle humain qu’ils estiment essentiel et inhérent à leur fonction actuelle.

Ce que dit Blanquer

Si les prérogatives concrètes qu’auront les ex-directeurs d’école dans les EPSF restent floues, le ministre de l’Education répète là encore qu’ils seront « les interlocuteurs naturels des familles » et auront « un rôle pivot pour la vie de l’école ». Ou encore qu’ils « demeureront l’interlocuteur quotidien des familles et de la municipalité ».

C’est cette souplesse qui est une bonne chose

« Dans certains cas, on peut imaginer que ce directeur soit considéré comme un véritable adjoint du principal, qu’il puisse bénéficier des moyens administratifs qui iront avec cette nouvelle masse critique. Dans d’autres cas, ce sera par exemple s’il y a plusieurs écoles concernées, une autre modalité d’organisation qui sera choisie. C’est cette souplesse qui est une bonne chose », expliquait ainsi Jean-Michel Blanquer sur Facebook à la mi-mars.

Ce que dit le texte

Sur ce point-là, le texte ne dit rien de concret. Les tâches et prérogatives du directeur adjoint de l’établissement public des savoirs fondamentaux seront détaillées et expliquées par décret.

3 – « Il faut un avis favorable du conseil d’école »
Ce que craignent les syndicats

En s’appuyant sur le texte voté à l’Assemblée nationale (voir plus bas), les syndicats s’inquiètent que les directeurs d’école n’aient pas leur mot à dire lors de tels rapprochements. L’arrivée de l’amendement incriminé lors de la discussion parlementaire, et non en amont, a exacerbé la défiance.

Les syndicats regrettent en effet que cette partie de l’article 6 n’ait pas été « discutée préalablement avec les organisations représentant la communauté éducative » qui ont pourtant été auditionnées dans plusieurs cadres. « Nous n’avons pas eu de discussions sur la création d’un tel statut », écrivaient-ils déjà dans un courrier adressé aux députés le 6 février.

Ce que dit Blanquer

Sur ce point précis, le ministre précise que le texte législatif pourra évoluer. Il l’a là encore répété à plusieurs reprises, sans parvenir à être réellement entendu.

« La création de cet établissement doit être une demande des collectivités, mais aussi de la communauté scolaire. » (Facebook)
« Je suis tout à fait prêt à le rajouter à l’occasion de la discussion au Sénat si cela permet de rassurer définitivement. » (Le Parisien)
Ce que dit le texte

Pour le moment, le texte qui a été voté à l’Assemblée et qui arrive au Sénat indique que l’établissement public des savoirs fondamentaux sera créé « par arrêté du représentant de l’État dans le département sur proposition conjointe des collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale de rattachement du collège et des écoles concernés ».

Reste à voir comment sera amendé ce passage lors de son examen par les sénateurs. Et si le terme « communauté éducative » est choisi, à quoi il fera référence. « Encore faut-il définir ce que le ministre entend par ‘communauté éducative’? S’agit-il du conseil d’école, de la commune, du département? », questionnait Pascal, un enseignant de CM2, samedi dans la manifestation parisienne.

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