Covid-19 : crise des déchets, crise de modèle ?

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La crise sanitaire créée par le Covid-19 est aussi une crise des déchets. Mais les déchets ne sont que le simple reflet des multiples dysfonctionnements de notre système économique. En 2019, la décision prise par la Chine de cesser l’importation des déchets plastiques depuis l’Europe et les États-Unis a signifié une première prise de conscience, concernant la dépendance de nos chaînes d’approvisionnement. Dans le temps de la gestion de crise, puis dans l’après crise, il est nécessaire de réfléchir à la réorganisation de notre système de production et de consommation, ainsi que de notre système de traitement des déchets.

La gestion de la crise des déchets

La collecte : les travailleur·ses exposé·es, le patronat s’en lave les mains. Emmanuel Macron a annoncé un système de primes exceptionnelles pour “les Français qui travaillent”, mais inclut-il les agent·es de propreté ? L’appréciation est laissée au bon vouloir des collectivités qui s’organisent au cas par cas, comme Paris qui garantit une prime de 35 euros par jour pour les agent·es qui travaillent et télétravaillent. Selon le Parisien, 50 agent·es du service propreté de la ville de Paris ont été contaminé·es par le Covid-19, 45 selon des sources internes. Les syndicats (SUPAP-FSU, US-GT, FO) ont été les premiers à réagir, par le biais des CHSCT, à l’absence de protections élémentaires pour l’ensemble des personnels, en particulier masques et gels hydro alcooliques. Le même constat est tiré à Limoges et à Alfortville. La mobilisation par le bas des travailleurs et travailleuses permet donc seule de faire évoluer les mesures de sécurité. Selon Elisabeth Borne, dans une interview au Figaro publiée le 2 avril 2020, “les ouvriers n’ont pas besoin de protection spécifiques”. Elle se réfère à un avis du Haut Conseil de la Santé Publique, pour lequel “les bons gestes seraient suffisants”. Ils déplacent ainsi la gestion du risque sur les seul·es salarié·es.

Or, les agent·es sont vulnérables à la persistance de l’agent pathogène sur les surfaces. De plus, la gestion des déchets pour les professionnel·les de santé en exercice libéral et pour les personnes infectées confinées chez elles passe par le circuit ordinaire de collecte d’ordures ménagères. Masques à usage uniques et mouchoirs sont ainsi jetés dans le bac classique. À Montpellier, une société en charge du recyclage s’alarme de la présence de masques et de gants dans les bacs de recyclage.

Ces déchets, considérés comme des déchets à risque infectieux (DASRI), font l’objet d’un protocole spécifique. Un guide publié par la Direction Générale de la santé en 2009 recommande la mise en place de filières de collecte et de traitement séparées. Or, 2020, crise du COVID : ces déchets sont toujours éliminés avec les ordures ménagères. Les travailleur·ses des déchets sont celles et ceux qui connaissent le mieux les procédures de gestion des DASRI. Par conséquent, leur expérience est cruciale dans cette période pour relayer les gestes barrières auprès des habitant·es, rarement formé·es à ces enjeux.

En ce qui concerne les hôpitaux, la collecte des DASRI répond bien à une procédure spécifique. Mais un article de Reporterre tire la sonnette d’alarme. Les personnels sont débordés, il y a un possible risque de saturation des chaînes d’incinération. En effet, les déchets hospitaliers ont augmenté de 30 à 40 % en Île-de-France et dans le Grand-Est, les deux régions les plus touchées par le virus. Les infrastructures peinent à pouvoir absorber les surcharges.

La collecte appartient aux activités dites essentielles, au même titre que la fourniture d’énergie. Elle limite la propagation d’agents pathogènes et préserve la salubrité publique, thématique chère aux élections municipales. Or, le secteur des déchets n’est pas considéré comme prioritaire et est menacé par la pénurie de masques. Les salarié·es témoignent de devoir aller travailler “la peur au ventre” (Patrick Chesnet, NVO, 30 mars 2020). L’interviewé renchérit : “Le patronat n’a qu’à aller ramasser les poubelles s’il n’y a pas de risques”.

La réforme des retraites, mise en suspens par le gouvernement Macron, touche aussi de plein fouet ce corps de métier qui a fait grève à Paris (principalement menée par les ouvrièr·es des incinérateurs) et à Marseille. Les critères de pénibilité ne sont plus pris en compte pour un départ anticipé et les discussions avec les syndicats demeurent au point mort. Or les personnels “du front” que le Président Macron héroïse, soignant·es, agent·es de propreté, caissièr·es, sont aussi les premières victimes de sa réforme. En témoignent les initiatives citoyennes à Orléans, Paris, Nantes, qui fleurissent pour dire “merci” aux éboueurs et éboueuses sur les bacs.

Le traitement : des consignes floues.

Concernant la réorganisation de système de collecte et la mise en place de plans de continuité d’activité, les recommandations des ministères de tutelle sont venues tardivement. Le Ministère des Solidarités et de la Santé a publié un communiqué le 23 mars 2020 (deuxième semaine de confinement) pour rappeler les gestes citoyens afin de stocker les déchets contaminés. En ce qui concerne l’organisation de la collecte, les autorités détentrices de la compétence déchets (établissements publics de coopération intercommunale) s’organisent au cas par cas : soit le service est perturbé (principalement dans les grandes agglomérations) soit il fonctionne normalement. Cela correspond aussi à l’éclatement du service, géré par une multitude de prestataires publics ou privés. Par exemple, la collecte en porte à porte des déchets sélectifs (plastique, verre) est totalement suspendue à Vallauris mais fonctionne toujours à Besançon. Les déchèteries sont fermées sur l’ensemble du territoire et il est ordonné de ne pas mettre des encombrants à la rue – mais on observe en parallèle une recrudescence de dépôts sauvages (déchets verts et encombrants).

Les déchets, miroir de nos dysfonctionnements

Le Parisien a publié une carte le 2 avril 2020, qui montre la baisse du tonnage de déchets collectés. Au début du confinement, le lundi 17 mars, le SYTCOM (syndicat chargé de gérer les déchets de la région parisienne) fait état d’une baisse de 8%, qui passe à 17% le mardi et 30% mercredi et jeudi. Sur la carte, cette baisse est manifeste dans les arrondissements les plus aisés de la capitale (VIIIè – XVIè), dont les habitant·es se sont confiné·es dans leur résidence secondaire à la campagne. En creux, les déchets reflètent des inégalités socio-spatiales, qui se traduisent également dans les crises environnementales.

Le problème des dépôts sauvages illustre les limites de notre modèle de consommation et de production. Le confinement est une situation propice pour se confronter aux objets inutiles qui accumulent nos appartements ; mais plutôt que de sombrer dans une spirale autoflagellatrice, interrogeons-nous plutôt les causes qui nous conduisent à consommer toujours plus. La recherche de la croissance économique est indissociable de la production de ces déchets dont nous ne savons pas comment nous débarrasser en tant de crise.

De même, la crise du Covid-19 pose aussi le problème de notre dépendance à l’incinération. En France 14.5 millions de tonnes de déchets sont incinérés chaque année. Avec la crise du Covid-19, des raisons sanitaires ainsi que le manque de personnel en centre de tri conduisent la plupart des déchets recyclables directement à l’incinération. Or, l’incinération est fortement émettrice de polluants et détruit des objets qui pourraient être autrement valorisés. L’exemple de l’incinération montre les limites du tout-recyclage (qui se retrouve inopérant en temps de crise) ainsi que le repli sur une solution peu écologique.

Concernant la production, on constante une fois de plus notre incapacité à gérer les flux sans les agents des services publics on ne sait pas gérer les flux. C’est la CGT des douanes qui nous donne les chiffres réels des importations de masques par l’Etat lorsque l’épidémie éclate en Chine : zéro. Dans le même temps les douanier·es ont vu le secteur privé constituer des réserves.

Aujourd’hui, le système D marche à plein régime et des collectifs de couturier·es pro ou pas, fabriquent pour les soignant·es, les EHPAD et celles et ceux qui en ont besoin, des masques en tissu. Partout, des collectifs solidaires se constituent : le collectif Mask Attack en Isère, le groupe Couturières solidaires de Paris.

On est loin de combler les manques, évidemment, mais cela montre à quel point la satisfaction des besoins peut être couverte par les citoyen·nes quand ils disposent des informations : quels sont les problèmes, qu’est-ce qui est en jeu, quelles solutions possibles et comment on s’organise ? Ce n’est pas spontané, mais auto-organisé, avec les moyens du bord.

Des masques en tissu, lavables à 60° et donc réutilisables, fabriqués à proximité avec des vieux draps : cela souligne l’absurdité de l’industrie du textile, qui fabrique des vêtements en excès, avec des salarié·es dont les conditions de travail sont la plupart du temps abominables, via des chaînes de valeur mondialisées qui imposent plusieurs tours du monde à la moindre paire de chaussettes avant d’être achalandée…

Cet exemple constitue finalement une bonne illustration du monde dans lequel on vit et du monde tel qu’il pourrait être, en matière de production, si les citoyen·nes étaient traité·es comme tel·les.

Ironie du sort, les masques et les gants constituent une grande masse des déchets que l’on retrouve actuellement sur les plages, et même dans les rues, de bien des pays atteints par le COVID 19 avant la France.

Pendant ce temps, les lobbies du jetable continuent leur action. Dans un courrier adressé à la Commission Européenne, EuPC (fédération des transformateurs européens du plastique) demande le report d’un an de la directive SUP sur les plastiques à usage unique et le report de toutes les interdictions existantes (Le Monde, 12 avril 2020). En argumentant que « le plastique sauve des vies », les lobbies cautionnent un recul environnemental majeur. Mais le plastique est l’un des supports où le virus est plus stable. Les bénéfices du plastique ne sont appuyés par aucun argument scientifique. Ce n’est pas suffisant pour certains États américains (New Hampshire et Californie), qui reviennent sur les décisions d’interdire les sacs plastiques à usage unique dans les supermarchés. Face à ces reculs, c’est à nous de rester sur le qui-vive afin que l’écologie demeure la priorité.

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