Emploi des seniors : Avant la retraite, le chômage !

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Avant la pause estivale Emmanuel Macron a rappelé ses intentions. Conformément aux promesses faites à la Commission Européenne, la France engagera « dès que les conditions sanitaires le permettent » une réforme des retraites. En particulier, il faudra « travailler plus longtemps et partir à la retraite plus tard ». Comme la crise sanitaire se prolonge il semble difficile que le gouvernement engage cette réforme avant les élections présidentielles et législatives. La majorité actuelle compte faire des retraites une des réformes clefs du quinquennat à venir et cette fois-ci ce n’est pas sous l’emballage attractif du système universel. Désormais, l’objectif est d’amputer le temps passé à la retraite.

Travailler plus longtemps ?

Avant de parler de reculer l’âge effectif de départ à la retraite, le président de la République parle de travailler plus longtemps. Et pour cause ! Est-il souhaitable de reculer l’âge de départ à la retraite lorsque 4 nouveaux retraités sur 10 liquident leur pension alors qu’ils n’ont pas d’emploi ? Avant la crise sanitaire, 64 % des personnes entre 50 et 64 ans avaient un emploi. Ce taux est nettement inférieur à celui des personnes âgées entre 25 et 49 ans, où 82 % des personnes ont un emploi. Au dernier décompte, un million de travailleurs de plus de 55 ans sont inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas travaillé du tout au cours du dernier mois. Le marché du travail exclut les personnes âgées, en tout certaines d’entre elles. Si la moitié des seniors diplômés sont en emploi après 50 ans, seulement un quart des non bacheliers reste occupé.

Dans ce contexte, il est plus difficile pour les seniors de trouver un emploi lorsqu’ils sont au chômage. Selon l’Insee, lorsqu’un senior est privé d’emploi il n’a que 12 % de chances de se trouver un emploi le trimestre suivant alors que dans l’ensemble de la population la probabilité est de 21 %. Ceci se traduit par des périodes de chômage plus longues : 70 % des seniors inscrits à Pôle Emploi le sont depuis au moins un an et la moitié le sont depuis plus de deux ans. La durée moyenne d’inscription s’établit à 750 jours. Le report de l’âge de départ à la retraite risque avant tout de pousser encore plus de personnes à liquider leur pension sans avoir accumulé tous leurs droits ce qui leur fera subir une décote et amputera leur niveau de vie pendant toute la durée de leur retraite.

Les réformes successives des retraites ont poussé des nombreux seniors à travailler au-delà de leur souhait. Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, les nouveaux retraités – ayant liquidé leurs droits entre 2015 et 2016 – déclarent que leur âge de départ à la retraite idéal est de 60 ans et 7 mois. Or, ils sont partis en retraite à l’âge 62 ans et 2 mois. Dans ce contexte, la part des seniors en emploi a sensiblement augmenté (+16 points depuis 2008), alors que le taux d’emploi de l’ensemble de la population est resté quasiment stable. Au final, les réformes des retraites mises en œuvre depuis les années 90 se traduisent par une double évolution paradoxale : l’emploi et le chômage des seniors augmente de façon concomitante. Travail forcé pour les uns, chômage forcé pour les autres !

Les vieux dans la galère…

Le marché du travail capitaliste a réussi à intégrer une population qu’il exclut spontanément en développant massivement la précarité. La précarité est souvent associée aux galères des jeunes. Or, si cela peut surprendre, les seniors sont massivement affectés par des formes d’emploi atypique et des contrats précaires. Le temps partiel est largement subi par les travailleurs âgés. Un salarié sur cinq de plus de 55 ans est en temps partiel. Cette proportion augmente fortement avec l’âge. Il est alors fréquemment dû à des raisons personnelles et à des problèmes de santé. Il ne faut pas oublier que les ouvriers ont 5,6 fois plus de risque de déclarer être à temps partiel pour raison de santé que les cadres. Or, si le temps partiel peut être une façon de créer une transition plus douce entre une situation d’emploi à temps plein et une retraite pleine, cette évolution peut être plus subie que choisie. Le sous-emploi affecte 10 % des emplois réservés aux plus de 55 ans, un taux supérieur à celui de la population dans son ensemble.

Si les seniors sont moins concernés par un emploi en CDD que le reste de la population, la part des embauches de seniors en CDD a sensiblement augmenté depuis 2001. Les seniors sont même plus fréquemment recrutés en CDD que leurs cadets. En 2014, les CDD représentaient 86 % des embauches de 50-54 ans, 88 % des 55-59 ans, 90 % des 60-64 ans contre 83 % pour les 40-44 ans. Si les seniors sont plus concernés par l’embauche en CDD mais moins nombreux en CDD, ceci s’explique par la récurrence des CDD courts qui se répètent à l’infini sans possibilité de pérenniser une embauche de CDI en fin de carrière.

L’ensemble de ces évolutions montre que la catégorie de senior regroupe en effet des populations très différentes. D’une part il y a des travailleurs qui peuvent rester sur leur poste de travail jusqu’à leur retraite. Ce groupe peut partir en retraite à la date de son choix voire bénéficié de la surcote. D’autre part, une part significative des seniors connait des périodes très longues de chômage et ne peut accéder qu’à des petits boulots, bien trop souvent de façon subie en attendant une pension de toute façon diminuée.

Le sens du travail

Il est impossible de penser à la hausse de l’emploi des seniors sans tenir compte des problèmes physiques, surtout pour les personnes ayant subi la pénibilité au travail. Les personnes âgées entre 55 et 64 ans cumulent une semaine supplémentaire de congés maladie (2,4 semaines sur l’année contre 1,5 pour les 30-54 ans). Le taux d’absentéisme pour des raisons de santé, plus élevé au-delà de 55 ans laisse également apparaître la dégradation de l’état de santé avec l’âge. Capacités physiques et conditions de travail sont trop souvent des variables d’ajustement. Une personne sur dix de 61 ans reçoit une pension d’invalidité. Face aux pressions du capital contre le droit à la retraite, 72 % des individus déclarent vouloir partir à la retraite « dès que possible ».

Cela ne traduit pas un désengagement de la vie sociale, tout au contraire. L’engagement des seniors est clé dans la vie associative et dans la vie cité (près de la moitié des maires sont retraités). Les retraités sont un soutien essentiel dans l’éducation et la garde des enfants. Loin de regarder la question de l’emploi et des retraites sous le seul angle comptable, il est urgent de donner du sens au travail, en préservant la santé et le niveau de vie. Donner moins de place au capital est la meilleure façon d’assurer la pleine émancipation des seniors.

Luis Alquier

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