Blanquer attaque les libertés académiques : elle doivent au contraire être défendues et protégées

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Comme l’a déjà montré un collectif d’universitaires dans la tribune « L’universalisme républicain ne se décrète pas, il se construit » parue dans Le Monde le 5 janvier 2022, le pseudo-colloque organisé cette semaine à Paris, sur le site historique de la Sorbonne, par l’Observatoire du décolonialisme repose sur des bases non scientifiques, puisqu’il prétend s’intéresser à un objet qui n’existe pas en réalité. La présentation qui en expose les fondements et les présupposés est en effet tout en fantasmes et caricatures, et non fondée sur une quelconque description ou argumentation scientifique référencée.

Le procès qui est fait par les organisateurs est en même temps d’une grande violence, car il revient non pas à ouvrir un débat, comme ils se plaisent à le prétendre, mais à accuser une partie des chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses en sciences humaines et sociales d’anti-républicanisme, voire de complicité envers le terrorisme islamiste, si on pousse le raisonnement jusqu’à sa conclusion logique. Les procès en « islamo-gauchisme » et autres « wokismes » déjà menés à plusieurs reprises par des membres du gouvernement ont légitimement provoqué une levée de boucliers de la part des acteurs institutionnels, de la Conférence des présidents d’université aux sociétés savantes dont les chercheur·es pouvaient être visé·es.

Il est inadmissible que de telles approches soient encore cautionnées et légitimées de fait par le gouvernement, par la présence du ministre Jean-Michel Blanquer, comme par le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) Thierry Coulhon. Ce dernier, en tant que président d’une autorité publique indépendante, est censé être astreint à un devoir de réserve garantissant la neutralité de celle-ci. Par ailleurs, le silence de la ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur cette attaque dans un des lieux les plus symboliques de l’Université, équivaut à une approbation tacite.

Les approches dites intersectionnelles sont prises pour cibles de manière totalement caricaturale et sans évoquer ce qu’elles recouvrent vraiment, ce que chacun peut vérifier en en lisant quelques exemples : l’approche intersectionnelle permet tout simplement d’étudier les formes de discriminations croisées fondées sur le genre, la nationalité, la situation sociale, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’appartenance religieuse et/ou le handicap. Les études postcoloniales, également visées ici par les procureurs auto-proclamés de ce tribunal des libertés académiques, développent quant à elles des perspectives critiques sur le discours et le projet colonial et sur leurs conséquences historiques et contemporaines dans les sociétés concernées.

En se réclamant d’un pseudo-universalisme abstrait qui ne saurait voir et encore moins reconnaître l’existence de rapports de pouvoir et les processus de discrimination à l’œuvre dans nos sociétés, les organisateurs de ce tribunal en viennent ainsi à rejeter tout questionnement et toute approche critique des discriminations, croisées ou non, comme de l’entreprise coloniale et de ses conséquences. Leurs accusations sont au cœur d’un arc réactionnaire de refus de prise en compte des inégalités dans leur complexité.

Dans le contexte politique actuel, ce mouvement réactionnaire se retrouve de LREM à Zemmour et au RN en passant par LR et quelques (ex-)PS. Il s’inscrit dans une entreprise politique très délibérée ayant pour horizon les élections nationales de 2022. Les procès en « wokisme » participent d’une part à la diffusion et à l’expression décomplexée d’idées d’extrême-droite, et d’autre part à l’occupation médiatique sur des questions « identitaires ». Cet écran de fumée contribue à faire diversion face aux urgences sociales, écologiques et démocratiques qui doivent être nos priorités absolues aujourd’hui.

Cette nouvelle attaque contre les libertés académiques et contre la pluralité nécessaire de la recherche dans ses objets comme dans ses approches est d’autant plus grave qu’elle est légitimée et encouragée par les pouvoirs publics. La production de savoir repose sur les libertés académiques, principe à valeur constitutionnelle. Les statuts nationaux et les financements pérennes les garantissent. Nous supprimerons les structures de mise en concurrence et/ou d’évaluation non transparente de la recherche, dont l’Agence nationale de la recherche et le HCERES, en réaffectant les fonds vers les dotations récurrentes de recherche et vers le renforcement des instances nationales composées de pairs et majoritairement élues comme le Conseil national des universités. Enfin, un·e chercheur·e précaire ne peut pas chercher librement, nous engagerons donc également un plan pluriannuel massif de recrutement de fonctionnaires titulaires. Le statut de fonctionnaire et les protections qu’il procure sont censés précisément protéger les chercheur·es et enseignant·es des pressions des pouvoirs, qu’ils soient politiques ou économiques.

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