Comment Benefit, la petite marque californienne de cosmétiques du groupe LVMH, est partie à la conquête du monde.
2219 Chestnut Street à San Francisco, une longue rue du quartier Marina, district situé à quelques centaines de mètres du célèbre Golden Gate Bridge. Dans une petite boutique de produits de beauté portant l’enseigne Benefit, Maggie et Annie Ford Danielson, deux jeunes Américaines pétillantes à la silhouette de top- modèle, nous accueillent au milieu des présentoirs et des vendeuses. Elles nous font rapidement visiter ce décor de bonbonnière en insistant sur le bar à sourcils, l’une des grandes spécialités de l’endroit et de la marque.
Une marque dont elles racontent l’histoire comme si elles l’avaient créée. Et pour cause : Benefit a été fondée en 1976 par leur mère Jean Danielson associée à sa sœur jumelle, Jane. Entre-temps, en 1999, Jean et Jane ont vendu leur entreprise au groupe LVMH. Mais ce dernier a embauché Maggie et Annie en 2008, pour perpétuer la dimension familiale de la société. Elles en sont devenues les ambassadrices et parcourent le monde pour accompagner son offensive mondiale : les produits Benefit sont désormais vendus dans 52 pays et 5.000 points de vente. Le chiffre d’affaires au détail a atteint 1,4 milliards de dollars en 2017. La croissance est à deux chiffres depuis plusieurs années, très supérieure à celle du marché des cosmétiques sélectifs. Tout en conservant des attaches locales fortes à San Francisco.
Maggie et Annie adorent faire découvrir leur ville aux visiteurs. Elles nous entraînent dans une balade en minibus Volkswagen vintage décoré des stickers de Benefit : « Laughter is the best cosmetic » (« le rire est le meilleur cosmétique »), le slogan phare de la marque. Le véhicule escalade poussivement les différentes collines de la ville, offrant souvent des points de vue spectaculaires, passe devant les maisons où ont résidé les stars de la pop music Jimi Hendrix ou Janis Joplin, avant de nous conduire au siège de Benefit installé downtown, dans un building du quartier des affaires. Sur trois étages, 300 salariés y travaillent dans un décor calqué sur celui des magasins. Les uns conçoivent de nouveaux packagings au graphisme des années 1950, les autres terminent le montage vidéo d’un film tutoriel amusant sur un nouveau produit. Dans un couloir, Maggie et Annie s’arrêtent pour commenter l’aventure de Benefit, qui s’affiche en plusieurs images sur les murs. Elles sont intarissables!
La part belle au traitement des sourcils
C’est un Français, Jean-André Rougeot, qui pilote l’entreprise depuis plus de dix ans. « Lorsque M. Arnault l’a rachetée, son chiffre d’affaires plafonnait à 20 millions de dollars, raconte-t-il. Il voulait ajouter à côté de ses grandes marques françaises, Dior, Guerlain ou Givenchy, des marques californiennes qui montaient en puissance auprès des jeunes Américaines. Cette vision s’est transformée en réalité économique assez puissante. La marque a commencé à accélérer à partir de 2005-2006 grâce à son internationalisation, notamment eu Europe, en Asie et en Amérique latine. » Le secret de Benefit, c’est d’abord une offre très riche qui fait la part belle au traitement des sourcils.
Une offre renouvelée en permanence. A l’exemple du mascara Bad Gal Bang, lancé le 1er février, qui s’est installé au premier rang mondial dans son segment. « Les nouveaux produits représentent 20% de nos ventes », révèle Jean-André Rougeot. Pour toucher une clientèle jeune et active – la consommatrice cible est âgée de 18 à 25 ans –, Benefit mise à fond sur les réseaux sociaux. « Nous avons 15 millions de followers sur Instagram, se félicite Jean-André Rougeot. Quatre-vingt-dix pour cent de nos dépenses marketing sont concentrées dans le digital : nous ne faisons jamais de publicité à la télévision ou dans la presse. Mais notre implantation à San Francisco l’explique : le siège de Twitter est à 100 mètres du notre, celui d’Instagram à 200 mètres. »
Désormais, le grand défi de Benefit consiste à conserver l’esprit frondeur qui a fait son succès tout en poursuivant une croissance rapide dans un groupe forcément exigeant sur les résultats. « Mon travail numéro un, c’est de m’assurer que l’ADN de Benefit survit mais aussi prospère, explique Jean-André Rougeot. C’est pour cette raison que nous conservons avec nous des créatifs qui ont travaillé avec Jean et Jane, les deux fondatrices, et qui ont gardé leur esprit anarchiste. » Des anarchistes chez LVMH? Tout est possible dans les rues de San Francisco.