Intransigeant sur les droits de l’Homme, le Canada subit les foudres de l’Arabie Saoudite depuis une semaine. Justin Trudeau peut-il maintenir sa ligne?
C’est une ligne de conduite qui pourrait coûter cher au Canada, mais Justin Trudeau n’entend pas en dévier. Intransigeant sur le respect des droits de l’Homme, le Premier ministre canadien est au coeur de l’affrontement diplomatique qui n’en finit plus avec l’Arabie Saoudite. La raison de ce bras de fer? La demande de « libération immédiate » de plusieurs militants des droits de l’Homme enfermés en Arabie Saoudite formulée la semaine dernière par le Canada, après l’arrestation de Samar Badaoui, la soeur du blogueur dissident Raef Badaoui, lui-même emprisonné depuis 2012.
Riyad prend une série de mesures
Entre les deux pays, le ton n’a cessé de monter depuis. « L’Arabie Saoudite ne s’immisce d’aucune façon dans les affaires du Canada. Par conséquent, le Canada doit corriger son attitude envers le royaume », a déclaré le ministre des Affaires étrangères Adel al-Jubeir. L’Arabie Saoudite attend des excuses du Canada – ce que Justin Trudeau a refusé de faire mercredi – et a déjà pris une série de mesures :
L’ambassadeur canadien à Riyad a été expulsé et l’Arabie Saoudite a rappelé son représentant au Canada.
L’Arabie Saoudite a gelé tout nouveau commerce ou investissement avec le Canada.
Riyad va relocaliser des milliers de Saoudiens poursuivant des études au Canada.
L’Arabie Saoudite a mis fin aux programmes de traitements médicaux de ses citoyens au Canada et s’emploie à transférer tous les patients saoudiens vers d’autres pays.
En plus de ces mesures, la compagnie Saudia a suspendu ses vols à destination de Toronto. Et la Banque centrale saoudienne a demandé à ses gestionnaires d’actifs à l’étranger de se départir des actions, obligations et liquidités canadiennes « quel qu’en soit le coût », selon le Financial Times. En revanche, les exportations de pétrole ne seront pas touchées. Elles sont indépendantes des considérations politiques, a expliqué le ministre saoudien de l’Energie.
Justin Trudeau reste sur sa position
Mercredi, Justin Trudeau n’a pas infléchi sa position malgré ces mesures de rétorsion. « Les Canadiens attendent de notre gouvernement qu’il parle fermement, clairement et poliment de la nécessité de respecter les droits humains, au Canada et dans le monde, c’est ce que nous allons continuer à faire », a-t-il déclaré, soulignant toutefois ne pas vouloir « avoir de mauvaises relations avec l’Arabie Saoudite ».
Mais la position du Premier ministre pourrait devenir intenable si Riyad remet en cause certains contrats passés entre les deux pays, ce qui pourrait coûter au Canada des milliers d’emplois. L’Arabie Saoudite est son deuxième marché d’exportation dans la région du Golfe (1,4 milliard de dollars canadiens en 2017), juste derrière les Emirats arabes unis. Un contrat semble particulièrement menacé : la vente à Riyad de véhicules blindés légers, conclu en 2014 pour un montant de 15 milliards de dollars canadiens (9,9 milliards d’euros).
« Bien entendu, le Canada défendra toujours ses travailleurs et ses sociétés. Nous devons nous assurer de protéger les intérêts canadiens dans toute situation », a tenté de rassurer mercredi Justin Trudeau. Mais les possibles conséquences de sa diplomatie divisent les experts au Canada. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’Ottawa prend le risque de perdre un contrat au nom des « valeurs » de son pays. En début d’année, un contrat pour l’achat par les Philippines de 14 hélicoptères canadiens destinés à ses forces armées, a été gelé suite aux critiques d’Ottawa contre le président Rodrigo Duterte.
Un « échec total » selon un ancien ambassadeur
« Il y a un moment où politiquement, il faut faire un choix », explique à l’AFP Ferry de Kerckhove, ancien diplomate et politologue de l’université d’Ottawa, qui y voit du positif. « Il est évident qu’aux yeux du monde, il y a une perception du Canada comme étant un des derniers bastions de la défense de l’ordre libéral international, aussi bien économique, politique et social. » Pour sa collègue Bessma Momani, professeure à l’université de Waterloo, la politique « éthique » du gouvernement canadien peut porter ses fruits : « Je crois qu’en face des contrats manqués avec quelques gouvernements autoritaires, nous décrochons toute une série de contrats ailleurs précisément parce que nous respectons les droits humains », assure-t-elle à l’AFP.
Une analyse qui n’est pas partagée par tous les experts. « Je crois que nous avons perdu de vue l’objectif de la défense des intérêts du Canada », explique David Chatterson, ancien ambassadeur canadien en Arabie Saoudite, à l’AFP. « Etait-ce de soulager le sort de M. Badaoui? Si oui, nous avons échoué. Influencer l’orientation générale de l’Arabie Saoudite? Je ne crois pas que nous y soyons parvenus. Promouvoir les intérêts canadiens? Non plus. C’est un échec total ».