Syrie : ce que l’on sait des 130 Français détenus par les Kurdes et que Paris envisage de rapatrier

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Pour la première fois, la France a laissé, mardi, la porte ouverte à un rapatriement sur le territoire national des Français arrêtés par les Kurdes en Syrie. Il s’agit de 130 personnes, dont 80 enfants et une cinquantaine d’adultes, plus ou moins impliqués dans le djihad.

En matière de traitement réservé aux djihadistes français arrêtés par les forces kurdes en Syrie, Paris a vu sa doctrine écornée par la décision de Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie. Jusqu’à présent, la France avait choisi de les laisser sur place, estimant que ses ressortissants ayant commis des crimes en Irak ou en Syrie devaient y être jugés. Une position déjà relativement compliquée à tenir, car si dans le cas de l’Irak, les choses étaient claires – les Français arrêtés devaient être jugés, condamnés et incarcérés sur place, à la seule réserve de ne pas subir de traitements inhumains ou d’être condamnés à la peine de mort -, dans le cas de la Syrie, le contexte rendait les choses légèrement plus complexes.

En effet, la France n’a pas d’interlocuteur officiel en Syrie : d’un côté, Paris a rompu ses liens avec le régime de Bachar el-Assad ; de l’autre, la France ne reconnaît pas le Kurdistan syrien, le Rojava. Comment, dès lors, laisser ses ressortissants jugés par la justice d’un pays que l’on ne reconnait pas? C’était pourtant l’option retenue par Paris jusque-là.

Les 3 problèmes qu’entraîne le retrait des forces américaines
C’est dans ce contexte déjà complexe qu’arrive le retrait, surprise, des forces américaines stationnées en Syrie. Celui-ci entraîne trois conséquences :

Le retrait américain, et avec lui la perspective de voir Damas et la Turquie gagner du terrain dans la région, fait craindre le chaos et la dispersion, dans la nature, de ces djihadistes. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont prévenu les Occidentaux : en cas de nouvelle bataille à mener contre les troupes d’Assad ou d’Erdogan, elles auront des soucis autrement plus pressants que le sort des prisonniers étrangers.
Le retrait américain implique de fait, à plus ou moins long terme, celui des Occidentaux. Or, ce sont eux qui, pour l’heure, gèrent en partie les centres de détention kurdes où se trouvent les ressortissants étrangers.
Enfin, dernière inquiétude des Occidentaux : face à la menace turque, les Kurdes syriens négocient aussi un accord sécuritaire avec le régime de Damas, qui pourrait alors mettre la main sur des centaines de djihadistes européens. Une option dont Paris ne veut pas.
Parmi les 130 Français, 80 enfants et une cinquantaine d’adultes
C’est la raison pour laquelle le Quai d’Orsay a évoqué pour la première fois mardi la possibilité d’un rapatriement sur le territoire national des Français actuellement détenus en Syrie par les Kurdes. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a indiqué qu’ils seraient systématiquement jugés si tel était le cas.

On parle de 130 personnes, hommes, femmes et enfants. Mercredi, Le Monde, révèle quelques détails intéressants sur leur profil :

Sur ces 130 personnes, environ 80 sont des enfants en bas âge. Parmi eux, se trouvent, toujours selon le journal, deux ou trois orphelins ou mineurs isolés pour lesquels la France aurait déjà pris la décision de les rapatrier.
Sur les 50 personnes restantes, environ la moitié sont des femmes.
Parmi les femmes, sept ou huit sont considérées comme de « vraies » djihadistes. Parmi celles-ci se trouve par exemple la Bretonne Emilie König, rappelle le journal. Elle a été un temps la recruteuse de Daech et placée sur la liste noire des « combattants terroristes étrangers » par la CIA.
Parmi les hommes, on compte aussi des « figures » du djihad français. Le Monde évoque ainsi la présence d’Adrien Guihal, l’une des voix françaises qui avait revendiqué l’assassinat à Magnanville d’un policier et de sa compagne en juin 2016 puis l’attentat de Nice, le 14 juillet ; et des membres de la filière d’Artigat, par laquelle sont passés les frères Clain (les « voix » des attentats du 13 novembre 2015) et les frères Merah.
Lire aussi – Syrie : l’impossible retour des épouses de djihadistes

Le quadruple casse-tête du retour en France
Le rapatriement en France de ces prisonniers représenterait un vrai casse-tête humain, judiciaire, carcéral et politique :

Humain, car il faudrait placer les enfants rapatriés, enfants dont les profils sont « lourds », certains étant nés en zone djihadiste ; la plupart ayant perdu au moins un parent au combat. Certains enfants ont déjà regagné la France, Paris ayant accepté de les rapatrier si la mère acceptait, elle, la séparation.
Judiciaire, car il n’est pas certain que la France dispose d’éléments concrets permettant de prouver la participation de chacun au djihad, ce qui fragiliserait la procédure judiciaire.
Carcéral, car il faudrait alors répartir ces détenus dans plusieurs prisons françaises avec le risque, déjà identifié par le passé, de la radicalisation de leurs codétenus.
Politique, car l’opposition (droite et Rassemblement national en tête) est vent debout contre la perspective de retour en France de ces djihadistes. Le député des Républicains Pierre-Henri Dumont a même appelé à des « assassinats ciblés ».
Les djihadistes arrêtés pourraient bientôt être encore plus nombreux
Et le problème de la France pourrait très vite s’aggraver. En effet, entre 200 et 300 combattants français sont toujours dans la nature, comme le rappelait le JDD fin décembre.

« Les djihadistes français qui n’ont pas été arrêtés et dont la mort n’est pas confirmée sont entre 250 et 300, avait ainsi estimé Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme. On sait que 200 d’entre eux sont retranchés dans des poches près de Hajin, en Syrie, où l’Etat islamique résiste toujours. Parmi eux se trouvent notamment les frères Clain. »

Si plusieurs d’entre eux sont surement morts dans les combats, d’autres pourraient bientôt venir grossir les rangs des djihadistes français arrêtés par les Kurdes, alors que les dernières poches du groupe Etat islamique, désormais acculé sur un territoire de quatre kilomètres carrés, sont en train de tomber dans l’Est de la Syrie, près de la frontière avec l’Irak.

Pour tenter de faire face à cette situation qui s’annonce d’ores et déjà complexe, certains pays ont décidé de prendre les devants et de rapatrier leurs ressortissants. Ainsi, un Américain de 34 ans capturé par les Forces démocratiques syriennes a ainsi été transféré le 24 janvier à Houston quelques jours après sa remise aux forces américaines en Syrie.

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