L’antisionisme doit-il être condamné au même titre que l’antisémitisme? La question resurgit ces jours-ci dans le débat public après les insultes subies par le philosophe et académicien Alain Finkielkraut samedi à Paris qui s’est fait traiter notamment de « sale sioniste de merde ». Le député En Marche de Paris Sylvain Maillard a également annoncé que des députés de tous bords comptaient déposer une résolution (non contraignante) ou une proposition de loi pour que l’antisionisme soit reconnu comme un délit au même titre que l’antisémitisme.
Antisionisme, antisémitisme, ces notions sont souvent très mal comprises. Interrogé lundi matin sur Franceinfo sur l’opportunité de condamner l’antisionisme dans la loi, le député insoumis Eric Coquerel a ainsi répondu qu’il s’agissait d’une « instrumentalisation ». Son argument? « On doit pouvoir critiquer la politique de Benjamin Netanyahou comme d’ailleurs on pouvait critiquer la politique de théocratie islamiste sans passer pour un anti-musulman ou sans passer pour un antisémite ». Or l’antisionisme n’est pas la critique de l’Etat d’Israël. Petit rappel de ces notions au coeur de la controverse.
Qu’est-ce que l’antisionisme?
Historiquement, l’antisionisme est l’hostilité déclarée à la création de l’Etat d’Israël. Le sionisme est, a contrario, une idéologie politique, né au 19e siècle, visant à promouvoir la création d’un foyer national juif en terre d’Israël.
Avant la proclamation de l’Etat en 1948, de nombreux juifs se déclaraient antisionistes
soit par religiosité, parce que dans le judaïsme, c’est l’arrivée du messie qui doit acter le retour à Sion (Jérusalem dans la tradition juive) ;
soit parce que certains juifs ne voulaient pas laisser penser qu’ils avaient une « double allégeance » dans un contexte où les juifs étaient souvent accusés de ne pas être assez patriotes.
Aujourd’hui, l’immense majorité des juifs soutient l’idée de l’existence de l’Etat d’Israël, à l’exception de la secte ultra-orthodoxe des Neturei Karta.
Depuis la création de l’Etat d’Israël, l’antisionisme est dorénavant associé à la haine virulente d’Israël. « On peut critiquer le gouvernement d’Israël, mais pas remettre en cause l’existence même de cet Etat. Personne ne remet en question l’existence de l’Etat français ou de l’Etat allemand », explique par exemple Sylvain Maillard.
Classiquement, l’antisémitisme est le fait de l’extrême-droite (le nazisme par exemple) ou de l’extrême-gauche (le complot des blouses blanches sous Staline, par exemple). Mais depuis plusieurs années, des chercheurs et des observateurs pointent l’explosion d’un nouvel antisémitisme, lié à la haine d’Israël. Ainsi en mars 2012, Mohamed Merah avait clairement assumé avoir tué des enfants juifs dans l’école Ozar Hatorah de Toulouse pour venger les Palestiniens : « Je tue des juifs en France, parce que ces mêmes juifs-là… tuent des innocents en Palestine », peut-on lire dans la retranscription des conversations entre Mohamed Merah et les négociateurs du Raid.
Critiquer Israël est-ce de l’antisionisme?
Il faut le dire et le répéter : non, critiquer Israël n’est pas de l’antisionisme. La confusion est faite car le sionisme est souvent associé à la politique actuelle du gouvernement Netanyahou, notamment à l’extrême-gauche. Le sionisme est devenu synonyme d’expansion coloniale dans les territoires palestiniens. Mais ce n’est pas ce que veut dire le terme.
Ce qui complique encore plus les choses c’est que des personnalités comme Alain Soral ou Dieudonné ont contribué à populariser le mot « antisioniste » pour éviter d’être condamné devant les tribunaux pour antisémitisme. « Cette opération de passe-passe linguistique a notamment été utilisée par Dieudonné et Alain Soral. A partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s’exprimer. « Juif » est devenu « sioniste » et « antisémitisme » est devenu « antisionisme » dans leur discours », note par exemple, interrogé par Franceinfo, le journaliste et historien Dominique Vidal, souvent critique à l’égard d’Israël.
L’antisionisme est-elle une nouvelle forme d’antisémitisme?
Pour Emmanuel Macron, l’ambiguïté n’a pas lieu d’être : « L’antisionisme est LA forme réinventée de l’antisémitisme ». C’est ce qu’il avait dit le 16 juillet 2017 lors du discours de commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Il rejoignait en cela l’opinion de l’ancien Premier ministre Manuel Valls en pointe depuis de nombreuses années sur le sujet : « »Il y a l’antisémitisme et il y a l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël », avait-il par exemple dit en mars 2016.
Il est exact de dire que certains utilisent l’antisionisme pour masquer leur antisémitisme. Mais l’antisionisme et l’antisémitisme ne sont pas forcément synonymes. « L’antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes par les lois françaises. L’antisionisme est une opinion que chacun est libre d’approuver ou non », défend notamment Dominique Vidal. « L’antisioniste n’est pas toujours antisémite. Il l’est parfois. Et son antisionisme, alors, est un cache-sexe », renchérit le philosophe Raphael Enthoven.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) est lui depuis longtemps favorable à la mise en place d’une loi pour réprimer l’antisionisme : « Dire que l’antisionisme est une nouvelle forme de l’antisémitisme, c’est la reconnaissance d’une réalité qu’au Crif, nous martelons depuis longtemps. La législation française, très aboutie dans la lutte contre ‘l’antisémitisme classique’, ne dispose pas encore d’un arsenal juridique pour combattre l’antisionisme. J’ai demandé au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et à la ministre de la Justice de faire en sorte que cette définition, qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme, soit transposée dans l’arsenal législatif français », disait en octobre dernier le président du Crif Francis Kalifat.
Le gouvernement est toutefois beaucoup plus réservé. « Il faut faire attention à ce que l’on veut condamner », a affirmé sur France 2 la ministre de la Justice Nicole Belloubet, estimant que cela « mérite un débat au Parlement ».
« De façon générale, je ne suis pas pour aller dans une sorte de course permanente vers la pénalisation des choses qui nous déplaisent », a aussi affirmé sur franceinfo le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. « Il faut plutôt compter sur l’éducation, le débat, et puis il y a de toute façon dès aujourd’hui un antisionisme qui est bien sûr le masque d’un antisémitisme, mais qui peut justement se détecter comme tel ». « Donc ça se discute, il faut faire très attention à ne pas, du fait de notre émotion, faire des choses qui sont ensuite contre-productives », a-t-il ajouté.