Avant son procès pour « escroquerie », la semaine prochaine, Bernard Tapie s’est longuement expliqué au JDD sur ce qu’il qualifie « le combat de [sa] vie » : la résolution définitive de l’affaire Adidas, débutée il y a 26 ans. Le JDD vous en résume le déroulé.
C’est une affaire tentaculaire qui dure depuis 26 ans. « Le combat de ma vie », résume Bernard Tapie dans un long entretien au JDD. L’affaire de la vente d’Adidas, rebaptisée « affaire du Crédit Lyonnais » ou « affaire Tapie », va connaître un nouveau temps fort le 11 mars prochain avec l’ouverture du procès de l’homme d’affaires et de cinq autres prévenus pour « escroquerie ». Il leur est reproché d’avoir effectué des manœuvres frauduleuses dans le cadre de l’arbitrage qui était censé clore tout le dossier en 2008. En trois décennies, voici comment un litige entre deux entreprises est devenu une affaire d’Etat et un feuilleton aux rebondissements sans fin.
Acte 1 – La vente d’Adidas
En juillet 1990, le fructueux groupe Bernard Tapie se porte acquéreur, pour 245 millions d’euros*, de la société allemande Adidas, qui connaît alors un trou d’air. Pour acheter la marque de baskets aux trois bandes, l’homme d’affaires français bénéficie d’un prêt bancaire, notamment soutenu, à hauteur de 31,25%, par une filiale du Crédit Lyonnais, la SDBO.
Deux ans et un plan de relance plus tard, Adidas remonte la pente mais ses finances sont encore dans le rouge. Bernard Tapie décide de s’en séparer non pas pour une raison économique mais à cause de son engagement en politique : fraîchement nommé ministre par François Mitterrand, il choisit de vendre ses sociétés pour éviter tout conflit d’intérêt.
L’homme d’affaires tente d’abord de vendre Adidas à son concurrent Reebok. En vain. Bernard Tapie donne alors mandat à son principal créancier, la SDBO, pour vendre Adidas. Ce que fait la banque en février 1993 pour 472 millions d’euros. Robert-Louis Dreyfus devient le nouveau patron d’Adidas.
Acte 2 – L’offensive du Crédit Lyonnais
Bernard Tapie doit encore liquider ses autres affaires et, malgré la vente d’Adidas, sa société est toujours endettée. Dans un premier temps, il signe un mémorandum avec le Crédit Lyonnais, une sorte d’accord à l’amiable entre les deux parties, dans lequel la banque rachète les actions du groupe Tapie pour désendetter son propriétaire.
Mais, en mars 1994, tout bascule. La banque opte pour une attitude résolument offensive et, au prétexte qu’un document secondaire n’a pas été transmis dans les temps, rompt le mémorandum. Une fois cet accord rompu, le Crédit Lyonnais refuse toute nouvelle négociation avec Bernard Tapie. Ce dernier voit ses biens personnels – qu’il avait mis en caution – placés en liquidation et son groupe mis en faillite.
Bernard Tapie n’est plus ministre, mais député. Il est en campagne pour les élections européennes de 1994. A l’époque, il voit dans la mise en faillite de son groupe le signe d’une attaque politique. Il n’en est rien, comme le prouveront les enquêtes qui suivront : il s’agit d’abord d’une affaire de gros sous.
Acte 3 – Le scandale de la décennie
Au cours des années 80, le Crédit Lyonnais a massivement investi tous azimuts. La banque française a réalisé de complexes montages, jouant souvent avec les règles internationales et légales, pour réaliser des plus-values toujours plus importantes. A tel point qu’en 1993, c’est la chute. Ou presque.
Avec près de 20 milliards d’euros de perte, la banque est sur le point de péricliter, emmenant avec elle toute une partie de l’économie française. Pour éviter le pire, le gouvernement français met en place un premier plan de sauvetage en 1993. Puis, en 1995, l’Etat créé une structure, le Consortium de réalisation (CDR) pour gérer le passif du Crédit Lyonnais. Principal dossier que ce CDR doit gérer à la fin des années 90 : l’affaire Executive Life, pour laquelle la banque – et donc l’Etat français – est condamnée aux Etats-Unis.
Le dossier de la vente d’Adidas fait aussi partie du passif du Crédit Lyonnais. A partir de 1995, c’est au CDR de réclamer à Bernard Tapie le remboursement de ses dettes. Or, l’homme d’affaires met au jour le fait que la banque avait réalisé un montage opaque au moment de la vente de marque aux trois bandes.
Adidas aurait été vendu par le biais de deux sociétés offshore avec une option de revente à Robert-Louis Dreyfuss lui permettant d’engranger une plus-value de 396 millions d’euros en cas de redressement d’Adidas. Or, ce redressement, au moment de la vente, semblait déjà acquis. La SDBO, la filiale du Crédit Lyonnais qui aurait gagné 400 millions d’euros dans l’opération, était pourtant astreinte à un devoir de neutralité.
Acte 4 – L’arbitrage qui devait tout régler
De 1995 à 2007, le dossier est passé devant plusieurs tribunaux qui ont successivement condamné le CDR ou, à l’inverse, donné tort à Bernard Tapie. En 2004, une tentative de médiation échoue. C’est en 2007, après l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, que la situation se décante.
Le ministère de l’Economie, sous la houlette de Christine Lagarde, donne son feu vert pour la mise en place d’un tribunal d’arbitrage. Le principe? Selon les conditions acceptées par toutes les parties, trois juges arbitres indépendants se prononcent sur le dossier. Au préalable, les parties se sont engagées à accepter la décision rendue, mettant ainsi fin au cycle judiciaire.
Les trois juges (Pierre Estoup, Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin), rendent leur sentence le 7 juillet 2008 : l’Etat est condamné à verser à Bernard Tapie 404 millions d’euros, dont 45 millions d’euros à titre de préjudice moral. En 1995, l’Etat avait accepté de purger les actifs toxiques du Crédit Lyonnais, c’est donc lui qui doit alors payer l’addition.
Acte 5 – Une affaire d’Etat
La classe politique s’empare du dossier, et notamment l’opposition socialiste à Nicolas Sarkozy. Celle-ci ne comprend pas comment l’exécutif a pu accepter la solution d’un arbitrage et délaisser le cheminement ordinaire de la justice. La Cour de justice de la République est saisie, avec Christine Lagarde en ligne de mire. L’opposition s’interroge autant sur les motivations qui ont poussé l’exécutif à valider le principe d’un arbitrage, que sur la sentence même des arbitres.
Au printemps 2013, sous François Hollande, l’Etat décide de remettre en cause l’arbitrage et dépose un recours en révision en juin. Au terme de deux années de procédure, le 17 février 2015, la cour d’appel de Paris ordonne la rétractation du jugement arbitral de 2008. Le 3 décembre 2015, la même cour condamne Bernard Tapie et sa femme à rembourser les 404 millions d’euros perçus en 2008.
C’est un spectaculaire revirement de situation qui ouvre la voie à une nouvelle série de recours, déposés par l’homme d’affaires. Il est débouté par la Cour de cassation en 2016. Mais Bernard Tapie entend désormais porter son combat devant la justice européenne.
Acte 6 – Mauvaises fréquentations?
En parallèle, un autre volet pénal s’ouvre en décembre 2012, quand les juges Claire Thépaut et Serge Tournaire ouvrent une enquête sur la mise en place du tribunal arbitral. Des lettres saisies au cours de leur enquête démontrent que le juge arbitre Pierre Estoup et Me Maurice Lantourne, l’un des avocats de Bernard Tapie, avaient partie liée bien avant 2008. Y a-t-il eu un conflit d’intérêt?
Claire Thépaut et Serge Tournaire le soupçonnent et décident de mettre en examen Pierre Estoup, Bernard Tapie et Maurice Lantourne. C’est ce volet de l’affaire Tapie qui débouche sur le procès à venir. La justice devra déterminer s’il y a eu « escroquerie » ou non, par le biais d’un conflit d’intérêt entre deux des parties. Si elle donne raison à Bernard Tapie, ce dernier pourrait alors défendre de nouveau la légalité de la sentence arbitrale de 2008 et contester une nouvelle fois la décision de la cour d’appel de 2015.
*Les chiffres ici présentés sont en euros, tels qu’ils ont été convertis lors des débats de l’arbitrage de 2008. Ils prennent en compte l’inflation.