Gilets jaunes : pourquoi la mobilisation de l’armée samedi pose problème

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La mise à contribution de l’armée lors des manifestations de Gilets jaunes, samedi, fait polémique. Et les explications du gouvernement n’ont pas rassuré l’opposition, les spécialistes et les militaires eux-mêmes.

L’annonce mercredi par le gouvernement de la mobilisation des militaires de l’opération Sentinelle dans le cadre des manifestations des Gilets jaunes n’en finit plus de faire polémique. Et ce n’est pas la sortie du gouverneur militaire de Paris, vendredi, qui a calmé les débats : « Les consignes sont extrêmement précises. Ils ont différents moyens d’action pour faire face à toute menace. Ça peut aller jusqu’à l’ouverture du feu », a déclaré le général Bruno Leray sur Franceinfo. « Les soldats donnent des sommations. Ils sont à même d’apprécier la nature de la menace et d’y répondre de manière proportionnée », a-t-il poursuivi.

Les critiques de l’opposition et des spécialistes
Avant même l’interview du gouverneur militaire, le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon avait demandé « solennellement » vendredi au Premier ministre Edouard Philippe de venir s’expliquer devant l’Assemblée nationale sur la mobilisation de l’armée, fustigeant « une déclaration aussi aventureuse que périlleuse ». D’autant plus que selon RTL, le chef d’état-major des armées François Lecointre n’avait pas été prévenu au préalable de l’engagement des hommes de l’opération Sentinelle dans le dispositif de samedi et lors d’un conseil restreint de Défense qui a eu lieu mercredi, la mise à contribution des soldats n’avait pas non plus été évoquée.

« La confrontation entre un militaire armé d’un fusil d’assaut et un manifestant mobile, imprévisible et aguerri, je ne sais pas ce que ça peut donner », s’interroge Sébastien Pietrasanta, ancien député socialiste spécialiste de la sécurité, dans les colonnes de La Croix. « Les militaires n’ont ni la formation ni l’équipement pour faire du maintien de l’ordre. » « Que dira-t-on si, pour ne pas tirer à balle réelle, un militaire se laisse déborder? », demande-t-il, critiquant la « stratégie d’affichage contre-productive du gouvernement ».

« Sentinelle est une mission anti-terroriste. A-t-on entendu parler d’un danger terroriste particulier en ce moment, et qui justifierait l’extension de la mission sentinelle? Non, pas à ma connaissance », s’étonne au micro d’Europe 1 le colonel Michel Goya, historien et stratégiste militaire. « Indirectement, [les militaires] vont être là pour remplacer des policiers dans leur mission de protection. Ils vont donc faire une mission attribuée aux forces de police, et dans un cadre qui ne rentre en rien dans le cadre de la guerre contre le djihadisme. »

Macron et le gouvernement s’expliquent
Critiqué à droite comme à gauche depuis mercredi, le gouvernement a cherché vendredi à clarifier les choses. Il « n’est dans l’idée de personne de mettre les militaires en face des manifestants », a répété dans un entretien au Parisien la ministre des Armées, Florence Parly. La participation des soldats de Sentinelle permet simplement « d’alléger les policiers et les gendarmes d’un certain nombre de tâches qu’il accomplissent communément dans la lutte contre le terrorisme », a-t-elle ajouté. « L’idée est donc de remplacer ponctuellement policiers et gendarmes sur des tâches que l’opération Sentinelle peut accomplir », a-t-il ajouté, indiquant que « cet effort de substitution, limité à la menace terroriste, est plus ou moins sollicité selon les périodes ».

L’armée n’est « en aucun cas en charge du maintien de l’ordre et de l’ordre public », a également fait savoir Emmanuel Macron vendredi depuis Bruxelles. « C’est exactement la même chose que ce qui avait été décidé au mois de décembre et à plusieurs reprises par le passé, c’est-à-dire faire appel aux militaires de l’opération Sentinelle pour ce qui est leur mission, la lutte contre le terrorisme et protéger des sites sensibles, pour pouvoir décharger les policiers et les gendarmes de ces missions. »

Le risque d’une confrontation
Mais qu’adviendra-t-il en cas de confrontation avec des manifestants? Le journaliste spécialiste des questions de défense, Jean-Marc Tanguy, s’interroge dans Le Parisien : « On a bien vu de samedi en samedi que les professionnels de l’émeute se déplaçaient très vite et pouvaient surgir n’importe où. Y compris devant des soldats, s’ils franchissent des cordons de sécurité. Le risque de confrontation avec des éléments très radicaux n’est pas à exclure. Et les soldats n’ont rien pour se protéger la tête ou le corps », explique-t-il.

Sous couvert d’anonymat, des militaires font part des mêmes craintes à Franceinfo : « On n’a pas le matériel nécessaire, parce qu’on n’a que des matraques télescopiques et des petites gazeuses à main, comme les filles ont dans leur sac. Après, c’est directement le fusil d’assaut », s’inquiète l’un d’entre eux. « C’est absurde, c’est du n’importe quoi. On n’est pas préparé à ça », s’agace un autre. « Nous, en termes techniques, on lutte contre un ennemi. Et l’ennemi ne peut pas être la population, ce n’est pas possible. C’est la situation dans laquelle on essaie de mettre les militaires aujourd’hui. »

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