Il est « l’acolyte » d’Alexandre Benalla, celui qui l’a accompagné place de la Contrescarpe le 1er mai 2018. Dans un livre paru jeudi, Vincent Crase donne sa version des faits. Le JDD l’a lu.
« Laissez-moi pour la première fois, vous raconter la mienne. » Sa version des faits. Dans ce livre intitulé Présumé coupable (chez Plon), paru jeudi, Vincent Crase, l’acolyte d’Alexandre Benalla lors des violences du 1er mai, revient – de manière quasi chronologique – sur cette journée qui a changé la vie de ce gendarme réserviste. Mais aussi sur sa rencontre avec son ami Alexandre Benalla, son entrée au QG d’En marche, puis à l’Elysée. S’il reconnaît être « sorti de son rôle d’observateur » lors de la Fête du travail, Vincent Crase estime que l’affaire est allée trop loin.
« J’ai porté une arme sans autorisation, je le reconnais, mais je n’ai frappé personne et – comme beaucoup ont tendance à l’oublier – je le répéterai autant de fois qu’il le faudra. Y a-t-il là matière à détruire la vie d’un homme? », demande-t-il au lecteur, au fil des pages. A 46 ans, celui qui a été remis en liberté sous contrôle judiciaire fin février dit avoir « confiance en la justice ». « Quelque soit la décision rendue, je l’accepterai », écrit-il. Quand l’affaire sera terminée, Vincent Crase souhaite « refaire [sa] vie » au Sénégal, d’où est originaire sa femme. « Je suis lassé de la France. »
Le JDD a lu Présumé coupable. Retour sur quelques passages.
Le 1er mai, une « bataille rangée (…) à laquelle nous aurions dû rester indifférents »
C’est sans surprise la trame du livre. Vincent Crase revient en détails sur le déroulé de cette journée. Il raconte le coup de fil d’Alexandre Benalla le 1er mai au matin qui lui demande – il est alors avec sa femme et ses enfants en Normandie – s’il veut venir « assister aux opérations de maintien de l’ordre » avec lui. Puis, son arrivée dans la salle de commandement de la préfecture de police de Paris en début d’après-midi : « Je ne sais pas exactement de quelle manière ma venue a été actée. En tout cas sur le moment, j’ai le sentiment d’être le bienvenu. » Il ajoute quelques lignes plus loin : « Sa présence (Alexandre Benalla) et la mienne ne semble choquer personne, je ne sens aucun regard. »
Intervenir comme Alexandre et moi l’avons fait était une connerie, mais valait-elle ce déferlement, ces outrances, ces poursuites?
Le reste s’enchaîne, l’arrivée sur place avec Philippe Mizerski, le major de la directeur de l’ordre public et de la circulation ; les affrontements entre black bloc et forces de l’ordre, notamment aux abords du Jardin des plantes. Face aux violences, Vincent Crase, qui est en civil, cherche « un signe distinctif qui l’identifie comme appartenant au camp des gentils ». Ce sera un brassard demandé à l’un des policiers. C’est là qu’il participera pour la première fois de la journée à l’interpellation d’un manifestant. « Mon intervention relève du réflexe de citoyen et de solidarité », écrit-il.
Pour la place de la Contrescarpe, il dira notamment que son « ADN de gendarme est ressorti ». Pour autant, s’il reconnaît qu’il aurait du, tout comme Alexandre Benalla, « rester indifférent », Vincent Crase estime que le film n’a pas été raconté en entier, selon ses propres mots. « Jamais nos agissements n’auraient été érigés en affaire d’Etat si l’ensemble de la journée avait été filmée et présentée aux Français. »
« Bien sûr, intervenir comme Alexandre et moi l’avons fait était une connerie, mais valait-elle ce déferlement, ces outrances, ces poursuites, ces affaires dans l’affaire? », s’interroge Vincent Crase, qui voit dans ce dossier, « un brasier créé, attisé, révélé par des personnes désireuses d’utiliser cette bévue pour se débarrasser d’un importun, d’un empêcheur de tourner en rond issu d’un autre milieu », Alexandre Benalla.
Les SMS entre Benalla et Macron le 2 mai
Le 2 mai, Alexandre Benalla et Vincent Crase se retrouvent au café Le Bourbon à côté de l’Assemblée nationale. Le premier dit au second avoir échangé par SMS avec Emmanuel Macron. « J’ai envoyé un message au PR pour le prévenir. Il est en Australie. Il est furieux. C’est fini pour moi », relate Vincent Crase. « Avec ces images, on est morts », ajoute Alexandre Benalla, alors que son acolyte tente de relativiser.
Quand Castaner propose à Crase de se reposer à Forcalquier
Le 9 mai, Vincent Crase, qui vient de rendre son badge de l’Elysée, croise Christophe Castaner à un « pot des anciens de l’Abbé Groult ». Le gendarme réserviste relate, dans le livre, les propos du chef du parti de l’époque à son égard : « Je ne juge pas moralement ce que tu as fait ce jour là. C’est une connerie, point barre. […] A partir de maintenant, ce ‘n’est plus un sujet. Tu as été sanctionné pour cette connerie. Tu te mets au vert les 15 prochains jours et puis tu reviens. Si tu veux te reposer chez moi à Forcalquier, sache que tu y es le bienvenu. Demande à mon épouse , elle te donne les clefs. »
Nous n’avons d’autres faits à te reprocher que ceux pour lesquels tu as déjà été sanctionné
Le 31 juillet, quand François Blouvac, le directeur de cabinet de Christophe Castaner, patron de LREM, lui annonce son licenciement, il lui dit : « Nous n’avons d’autres faits à te reprocher que ceux pour lesquels tu as déjà été sanctionné. » Vincent Crase ironise sur un « aveu superbe », « licencié pour pression médiatique ».
Crase imagine Benalla en homme politique : « Il en a les qualités et les défauts »
Alexandre Benalla est-il encore son ami? « Je l’espère », écrit Vincent Crase. « J’ai mille raisons de ne pas lui en vouloir et d’en avoir fait mon ami […] Ses qualités ne m’empêchent pas d’être lucide sur ses défauts : une certaine agressivité contenue qui peut se réveiller dans un moment de tension, une propension à interpréter le réel, à se mettre en scène, un aplomb hors normes parfois pour aboutir à ses fins, lui qui est mu par la volonté toujours aussi farouche de réussir », ajoute le gendarme réserviste pour brosser le portrait de celui qui remplit tous les critères, selon lui, pour être « un excellent homme politique ». « Il en a les qualités, comme les défauts. »
Parmi les défauts de Benalla : son impulsivité
Ce trait de caractère revient plusieurs fois dans l’ouvrage. Vincent Crase revient sur l’altercation déjà sortie dans la presse il y a plusieurs mois entre Alexandre Benalla et le bailleur de l’un des QG. « J’ai déjà eu l’occasion d’entrapercevoir l’impulsivité dont Alexandre peut faire preuve. […] Quand il s’énerve, il ne fait pas semblant. »
Lorsqu’il s’énerve, Alex ne s’embarrasse pas de circonvolutions
Un peu plus loin : « Lorsqu’il s’énerve, Alex ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Je connais l’impulsivité qui peut parfois être la sienne. Mais il est comme ça, il monte vite dans les tours, puis redescend aussitôt. Pas de rancune chez lui. »
Un « nouveau monde » qui ressemble à l’ancien…
A plusieurs reprises dans ce livre, Vincent Crase se dit surpris par ce « nouveau monde ». Au QG d’En marche déjà où en novembre 2016, les étages sont bien distincts entre les petites mains de la campagne et les chefs, qui sont eux au 6e étage. « Je suis un peu surpris par cette ‘verticalité’ qui fleur bon l’ancien monde. […] Au royaume de la modernité, certains réflexes de l’ancien monde ont la vie dure », écrit-il. Idem lorsqu’il remplit un dossier pour candidater aux élections législatives dans sa circonscription – à Louviers en Normandie, où l’homme vit depuis ses 12 ans. Le député sortant François Loncle lui dit que son suppléant Bruno Questel est « pressenti pour décrocher l’investiture ». « Pour l’instant, le nouveau monde ressemble encore étrangement à l’ancien », insiste Vincent Crase.
Il ne sera pas plus tendre avec les nouveaux arrivants au siège du parti, rue Saint-Anne, une fois la victoire à la présidentielle actée. A ses yeux, le QG où il s’ennuiera chaque semaine un peu plus, ressemble à un « Disneyland pour bobo » composé de « stéréotypes de la classe urbaine favorisée », avec « cours de yoga » et « salades de quinoa ». Un lieu où l’on ne parle plus de politique. « De ce côté-là, c’est l’encéphalogramme plat ».
… et qui n’a pas vu venir les Gilets jaunes
Pour Vincent Crase, à ce moment, le « parti a failli » et s’est déconnecté du terrain. « Si le gouvernement n’a pas vu venir ni su gérer [le mouvement des Gilets jaunes], c’est parce qu’il n’a pas réussi à le comprendre. Il suffisait d’écouter les comités locaux pour savoir que ça grognait très fort en régions », estime-t-il, avançant la question des 80 km/h et la hausse des taxes. « Les signaux ne manquaient pas », assure-t-il, certes avec le recul de plus de cinq mois de manifestations.
Le peuple voulait du pain, on lui a donné le cirque
Mêmes critiques envers la classe « politico-médiatique » cette fois. Avec l’affaire Benalla au coeur. « Si elle n’avait pas perdu son temps à monter en épingle une affaire d’été, peut-être aurait-elle été attentive aux vraies préoccupations des Français, celles qui entraînent aujourd’hui la crise des Gilets jaunes. Le peuple voulait du pain, on lui a donné le cirque. »
Et aussi…
Le casque de protection d’Alexandre Benalla? Il était arrivé avec dans un « sac de plastique blanc » à la préfecture de police de Paris. S’y trouvait aussi : une « cotte d’intervention ornée dans le dos du mot ‘police’ et du grade capitaine sur la poitrine » que Vincent Crase lui a, dit-il, déconseillé de porter.
Le « bonsoir Alexandre, ça va? » du ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb, le 1er mai à la préfecture de police. Revenant sur l’audition de ce dernier au Sénat, où il avait affirmé ne pas connaître Alexandre Benalla, Vincent Crase écrit : « Le courage et le sens des responsabilités ne sont pas des qualités données à tout le monde, y compris au sommet de l’Etat ».
Convoqué le 19 février une nouvelle fois au palais de justice pour être entendu sur une prétendue conversation avec Alexandre Benalla à l’été 2018, Vincent Crase se retrouve assis à ses côtés. Des policiers les installent même un peu plus loin dans un box, ensemble. « C’est logique quand même. On est là parce qu’on s’est soi-disant vu et parlé et on nous colle l’un à côté de l’autre… », note Alexandre Benalla. Quelques instants plus tard, ils sont séparés. « Venez s’il vous plaît, vous ne pouvez pas rester là. » Vincent Crase change de pièce.