L’accord rapide sur les réglementations européennes pour l’intelligence artificielle repose sur des fondations fragiles. L’Europe souhaite restreindre les applications américaines et chinoises, mais les entreprises européennes craignent également d’être limitées.
L’Europe a la tendance à utiliser la réglementation comme moyen de combler son retard technologique par rapport à la Chine et surtout aux États-Unis, en imposant des lois strictes. En retour, elle peut compenser la perte de revenus fiscaux provenant de ses propres plateformes technologiques en infligeant des amendes élevées aux entreprises américaines.
Par exemple, les amendes imposées par le règlement général sur la protection des données (RGPD) à des entreprises américaines telles que Meta et Google montent en flèche. La loi sur les services numériques (DSA) et en particulier la loi sur les marchés numériques (DMA) visent à restreindre davantage les grandes plateformes. D’ici mars 2024, six plateformes numériques avec 22 services devront respecter ces règles, notamment Alphabet (Google Search, Chrome, YouTube, Android, Maps, Play, Shopping), Meta (Facebook, Messenger, Whatsapp, Instagram, Marketplace, publicité), Microsoft (Windows, LinkedIn), Amazon (publicité, marché), Apple (Safari, iOS, App Store), et ByteDance (TikTok).
Les régulations les plus strictes s’appliqueront également aux services de recherche et aux plateformes suivantes : liExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipédia, YouTube, zalando, Bing, et Google Search.
Les Américains perçoivent cela comme une mesure dirigée contre eux, tandis que l’Europe affirme qu’elle vise à protéger ses consommateurs et entrepreneurs contre la puissance des principales plateformes.
La loi sur l’IA suit la même logique. L’Europe affirme, tout comme avec le RGPD en 2018, qu’il s’agit d’une initiative mondiale qui influencera le monde, établissant ainsi la norme que les entreprises devront souvent adapter leurs services pour respecter les mêmes conditions partout dans le monde.
Cependant, lors de la dernière consultation sur la loi sur l’IA le vendredi dernier, l’Allemagne et la France ont insisté pour que les règles de modélisation de l’IA soient plus flexibles. Cette demande a été influencée par des entreprises d’IA qui pensent pouvoir rivaliser efficacement avec les acteurs américains à l’échelle mondiale. Une source néerlandaise impliquée dans la consultation a confirmé ces informations de manière anonyme.
La loi sur l’IA vise principalement à réduire les applications à haut risque, avec un accent particulier sur les risques de discrimination et les conséquences néfastes pour les individus. Le processus est actuellement dans la phase finale des négociations, avec le « trialoog » entre la Commission européenne, les États membres et le Parlement européen. Ce dernier insiste sur une législation précise, bien que certains grands États membres, dont l’Italie, semblent soudainement hésiter alors que la Commission européenne tente de parvenir à un compromis.
Lors du dernier trilogue politique le 24 octobre, un consensus semblait émerger en faveur de l’approche en cascade avec des règles plus strictes pour les applications à haut risque. Cependant, lors d’une réunion du groupe de travail technique du Conseil des ministres de l’UE le jeudi, des représentants de plusieurs États membres, notamment la France, l’Allemagne et l’Italie, se sont opposés à toute forme de règlement standardisé.
Des start-ups françaises comme Mistral, spécialisées dans l’IA avec des modèles open source, estiment que la loi sur l’IA pourrait les entraver, et ont réussi à convaincre le gouvernement français. En Allemagne, Aleph Alpha, qui a dirigé un lobby réussi auprès du gouvernement à Berlin, partage la même préoccupation.
Le problème sous-jacent réside dans les incertitudes entourant la mise en œuvre de la loi sur l’IA, compte tenu du développement tumultueux de cette technologie. Comment réglementer le marché de manière efficace et dans quelle mesure est-ce nécessaire? Comment l’Europe peut-elle faire respecter ces règles sans désavantager ses propres acteurs?
La présidence espagnole de la Commission européenne tente de parvenir à un compromis ce week-end et dans les jours à venir, car elle cherche à démontrer sa détermination en tant que président périodique de l’UE. L’Espagne devra attendre encore 13 ans pour reprendre la présidence, et la Belgique prendra le relais au premier semestre 2024.